Présentation

LE COMITÉ DE RÉDACTION D’INSANIYAT (Auteur)
15 – 18
Varia
N° 107 — Vol. 29 — 30/06/2025

Favorisant des croisements parfois inattendus et des dialogues disciplinaires féconds, les numéros Varia occupent une place précieuse et singulière dans le paysage des publications scientifiques. Ils ont souvent quelque chose d’intense à offrir en s’affranchissant des cadres imposés par les dossiers thématiques. Comme leur nom l’indique, ces numéros se caractérisent par la variété des thématiques abordées, rompant un tant soit peu avec la logique des numéros centrés sur une problématique donnée. Cette diversité, loin d’être une faiblesse, constitue au contraire une force éditoriale et intellectuelle qui renseigne sur l’intérêt porté à la revue qui en propose.

Chaque numéro Varia se présente ainsi comme une invitation à la découverte, un espace où se côtoient des contributions à objets, théories, méthodes et terrains variés, parfois difficiles à intégrer dans les formats thématiques traditionnels. Les numéros Varia offrent aussi un terrain d’expression privilégié à des recherches audacieuses et novatrices souvent portées par de jeunes chercheurs qui contribuent au renouvellement des savoirs et à l’enrichissement de la pensée scientifique.

La présente livraison d’Insaniyat, consacrée justement aux Varia, s’inscrit pleinement dans cette dynamique d’ouverture et de dialogue disciplinaires. Les contributions qui y sont réunies témoignent de la richesse et de la diversité des problématiques qui traversent les Sciences sociales dans le temps présent, en explorant des thématiques riches et diverses, porteuses d’enseignements sur les dynamiques sociales en cours.

Le numéro s’ouvre sur une contribution originale, rédigée à quatre mains par Ouiza Tikobaini et Mohand-Akli Salhi, consacrée à un objet encore peu étudié, à savoir la littérature pour enfant en langue amazighe. L’accent est mis sur un aspect singulier de ce genre littéraire émergent à savoir les préfaces et leurs auteurs, qui jouent un rôle clé dans la construction et la légitimation de cette production éditoriale. Pour mener à bien cette étude, les auteurs ont examiné vingt-quatre (24) ouvrages pour enfants publiés au cours des deux dernières décennies, en s’attachant à analyser les discours préfaciers dans leurs dimensions énonciatives et réceptives.

S’appuyant sur une approche croisant les perspectives bourdieusienne et gramscienne, l’article de Hala Ali Awada interroge les choix académiques des chercheurs libanais en sciences sociales en mettant en lumière l’impact des crises successives et des appartenances institutionnelles (universités publiques vs universités privées) sur leurs pratiques de recherche. En articulant la notion de champ développée par Bourdieu à celle d’intellectuel organique forgé par Gramsci, l’étude retrace
et explore l’évolution des priorités thématiques en sciences sociales au Liban, dans leur rapport (étroit) aux dynamiques de pouvoir. Elle souligne également les limites des modèles d’analyse des sciences sociales occidentales pour penser la complexité et les dynamiques locales libanaises. L’autrice met en évidence l’influence déterminante des conjonctures politiques, économiques et sanitaires sur les trajectoires des chercheurs, leurs positionnements institutionnels et leurs modes d’engagement face aux défis et aux enjeux sociaux pressants. Ce faisant, cet article contribue à combler une lacune en éclairant les liens entre production des savoirs et contextes socio-politiques au Liban.

L’article de Karim Braï et Mohand Akli Hadibi propose d’analyser les mécanismes de pression et de régulation dans les villages kabyles en portant une attention particulière à l’usage social de lextiya (amende) dans les villages Ayatan et Takorabt, situés dans l’Arch des Ath Waghlis (Béjaia). Ce dispositif de régulation, encadré par l’Assemblée villageoise (tajmaεt), repose sur un système de sanctions graduelles allant des pénalités financières à l’exclusion sociale, visant à garantir le respect des règles collectives. L’enquête de terrain met lumière les tensions entre les normes traditionnelles et les pratiques effectives, ainsi que les défis liés à l’application de ce système dans la gestion collective des patrimoines villageois et des conflits sociaux. L’étude s’attarde notamment sur le cas singulier de la lignée des bouchers (Imsilyin) du village d’Ayatan, à qui incombe traditionnellement la charge de l’abattage rituel des animaux à l’occasion des grandes fêtes collectives, telles que la fête de
l’εid tamuqrant (Aïd El Adha) et l’Uziεa. Les auteurs examinent la manière dont cette lignée, intégrée par accueil dans le village, perçoit la sanction villageoise qui lui est appliquée en cas de manquement à son contrat avec le village en question, et sa réaction à l’application de cette sanction particulière. L’étude s’intéresse aussi à un autre groupe social, celui d’imsenden
(les protégés), dont le statut a été acquis par alliance dans le village de Takorabt, en interrogeant les modalités d’intégration et les régulations qui leur sont associées au sein de l’ordre villageois.

La contribution de Abdenour Ould Fella retrace les principales étapes du « retour progressif » de l’anthropologie dans le champ scientifique algérien après une longue période d’invisibilisation.
À partir de l’expérience des Départements de langue et culture amazighes (DLCA) de Béjaia, ouvert en 1991, l’auteur examine les modalités d’intégration de la discipline anthropologique dans un paysage scientifique local, en soulignant le rôle singulier joué par l’usage de tamazight comme langue d’enseignement et de production scientifique. Ce choix, selon l’auteur, est encore loin de faire consensus au sein même de la communauté scientifique investie dans le champ des études amazighes. Ce positionnement linguistique constitue à la fois une affirmation identitaire et un défi épistémologique, tant il interroge les cadres habituels de légitimation du savoir universitaire algérien. S’inscrivant dans une approche déconstructiviste, l’auteur accorde une attention particulière à la relance des études ethnographiques
et monographiques sur les villages dans la région, à travers une réflexion renouvelée sur les ancrages locaux et les terrains de recherche, telle qu’elle se déploie dans les mémoires de licence
et de Master en Anthropologie de 2000 à 2024. L’article propose à cet égard un inventaire détaillé des travaux réalisés, qui témoigne d’un regain d’intérêt pour les dynamiques sociales des villages kabyles.

Ce numéro s’intéresse également à des objets d’études moins souvent abordés dans la sphère Sud, tels la participation politique des étudiants sahraouis inscrits dans le supérieur en Algérie, en Espagne et ailleurs. La contribution de Rita Reis, fondée sur une recherche ethnographique d’environs 24 mois et une cinquantaine d’entretiens semi-directifs menés auprès d’étudiants sahraouis, de représentants du POLISARIO, d’activistes humanitaires espagnols et de famille d’accueil en Algérie et en Espagne, s’attache à examiner le modèle éducatif transnational mis en œuvre par la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Ce modèle qui a permis la formation de plusieurs générations d’étudiants ouvre de nouvelles perspectives politiques pour la cause sahraouie. L’autrice met en lumière la manière dont les mobilités étudiantes transforment les dynamiques sociales au sein des camps de réfugiés, considérés ici comme « des marges centrales » à partir desquelles se déploient des processus transnationaux complexes, contribuant activement au combat libérateur sahraoui, et ce malgré un exil qui dure depuis près d’un demi-siècle. Cette contribution étudie en particulier la participation militante de cohortes d’étudiants sahraouis dans les organisations de masse, notamment au sein de l’Union des étudiants de Seguia El Hamra et Oued Daheb (UESARIO), en s’intéressant plus spécifiquement à ses branches algérienne et espagnole.

Cette livraison d’Insaniyat accorde également une place importante au renouvellement des savoirs sur les mouvements de libération nationale et leurs effets sur la formation et la redéfinition de la bourgeoisie nationale à travers les lectures critiques
et contrastées de Frantz Fanon, Malek Benabi et Abdellah Laroui. La contribution de Said Mouaici explore les rapports étroits qu’entretient la bourgeoisie nationale avec la bourgeoisie coloniale dont elle a hérité de nombreux mécanismes de fonctionnement
et de reproduction. L’auteur montre comment la bourgeoise
post-coloniale a privilégié, de façon récurrente, une approche fondée sur la défense de ses droits plutôt que sur l’accomplissement de ses devoirs vis-à-vis du combat libérateur
et de la collectivité, ce qui en fait une classe peu encline
et disposée à l’innovation ou à la mise en œuvre de projets ou de politique de planification sociale et économique, lui préférant le maintien d’un statu quo qui garantit ses intérêts propres au détriment des projets émancipateurs. L’auteur souligne par ailleurs les rares points de convergences et les profondes divergences entre Fanon, Bennabi et Laroui quant à l’avenir des nations africaines
et arabo-islamiques sorties de la longue domination coloniale, notamment sur les conditions de possibilité d’une véritable émancipation politique, sociales et économique.

En réunissant ces objets, terrains et approches multiples, le présent numéro Varia d’Insaniyat incarne pleinement l’esprit de découverte, d’originalité et de rigueur qui fait la singularité et la richesse de ce format éditorial.

Citer cet article

LE COMITÉ DE RÉDACTION D’INSANIYAT, (2025). Présentation. Insaniyat - Revue algérienne d'Anthropologie et de Sciences Sociales, 29(107), 15–18. https://www.insaniyat.crasc.dz/fr/article/presentation