Les études monographiques des villages de Kabylie dans l’université de Bejaia : entre relance et refondation

Abdenour OULD FELLA (Auteur)
79 – 99
Varia
N° 107 — Vol. 29 — 30/06/2025

Depuis l’ouverture des Départements de langue et de culture Amazighes (Désormais DLCA) à Tizi-Ouzou en 1990 et à Bejaia en 1991, et la création du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle, (CRASC), à Oran en 1992,[2] l’anthropologie a entamé un retour progressif dans le champ universitaire institutionnel algérien après une longue période de marginalisation, de mise « sous silence » (Salhi, 2008, p. 83) qui a duré plus de deux décennies (1970-1980). Après la suppression de l’enseignement de l’ethnologie à l’université d’Alger en 1973, stigmatisée comme « science coloniale » (Bonte, 2004, p. 22), le, Centre de recherche en archéologie, préhistoire et ethnologie (CRAPE), créé en 1955, a abrité les activités de recherche de rares spécialistes en anthropologie et en littérature orale, notamment amazigh, sous l’impulsion de son directeur, Mouloud Mammeri. Pour briser ce processus de formation d’un champ de recherche amazighe et d’un centre de recherche berbère, le CRAPE est dissout en 1983-1985[3] et les recherches en sciences sociales seront abandonnées (Chaker, 2022, p. 286).

Après deux décennies de pratique d’une « anthropologie implicite » (Chaulet, 2008, p. 76), invisible et « frappée de sceau de l’illégitimité » (Salhi, 2008, p. 83) et dans un contexte politique et social hostile à l’égard des sciences sociales chargées par des courants conservateurs ; dans plusieurs universités algériennes, des formations en magister anthropologie sont lancées depuis les débuts des années 1990[4] pour former des enseignants et chercheurs en anthropologie. Une école doctorale en anthropologie pilotée par le CRASC est créée en 2006 en partenariat avec six universités algériennes (Oran, Tlemcen, Mostaganem, Tizi-Ouzou, Bejaia et Constantine), puis élargie, en 2014, à trois autres universités du Sud (Adrar, Ghardaïa et Biskra). Quatre promotions de magister d’anthropologie ont été lancées (2006, 2008, 2012, 2014) et près de 85 étudiants ont soutenu leurs travaux. Six parmi eux ont intégré le département Amazigh de Bejaia, comme enseignants[5].

Par ailleurs, l’adoption du système LMD en 2008 a créé une opportunité pour lancer plusieurs offres de formation en master
et en doctorat anthropologie.

Cependant, après trente ans de retour progressif et hésitant de l’anthropologie et contrairement à la sociologie, rares sont les universités qui assurent des formations en licence d’anthropologie proprement dite[6]. Ce constat en dit long sur la place marginale de l’anthropologie dans les sciences sociales et humaines en Algérie, qui continue de charrier avec elle un certain passif et de faire face à des limites et interdits multiples entourant l’enseignement et la recherche dans cette discipline avec un « statut flottant » et qui peine à se constituer en « champ d’étude » (Salhi, 2008, p. 79-84).

Dans ce travail [7], nous poursuivrons la réflexion que nous avons déjà engagée (Ould Fella, 2025b) sur les modalités d’intégration de l’anthropologie dans l’institution universitaire algérienne à partir du cas du département Amazigh DLCA de Bejaia depuis 1991.

Dans le département Amazigh de Bejaia, la formation d’anthropologues berbérisants a été assurée de 1991 à 1998 par l’ouverture d’une formation de quatre promotions en Magistère, spécialité civilisation amazighe, incluant l’anthropologie, la sociologie, l’histoire et l’archéologie. Seuls six étudiants ont pu soutenir leurs travaux et un seul parmi eux (Allam Essaid) exerce comme enseignant permanent au département. Avec le lancement d’une licence en langue et culture amazighes en 1997, sans spécialisation, certains étudiants choisissent des thématiques liées à la civilisation amazighe pour réaliser des travaux de mémoire de licence à partir de l’année 2000-2001. En 2011-2012, un Master en anthropologie du monde amazigh a été ouvert et beaucoup de travaux de mémoires ont été réalisées dans ce cadre. Au total, 232 travaux sont élaborés de 2001 à septembre 2024, 93 en licence classique et 139 en master anthropologie.

Examinons les chiffres du nombre de diplômés titulaires d’une licence LMD option Civilisation amazighe, ou d’un Master anthropologie de 2001 à 2024.

 

Ce tableau montre que le département Amazigh de Bejaia a formé, depuis le lancement de la licence de langue et culture amazighes en 1997, près de 317 diplômés[8] dans la spécialité civilisation amazighe et anthropologie, 149 en licence ancien régime et 168 en master anthropologie.

Par ailleurs, si on compare le nombre de diplômés en master anthropologie qui est de 168 (7,98%) aux 1556 de la spécialité linguistique, LVA et didactique (73,98%) et de 379 diplômés en littérature (18,03%), on se rend compte du déséquilibre flagrant des effectifs, de l’importance de la linguistique dans le processus de réappropriation de la langue tamazight, mais aussi du faible attrait et de la place marginale de l’anthropologie au sein du département amazigh de Bejaia.

Au-delà de ces rapports asymétriques entre l’anthropologie
et les autres spécialités, cet article souhaite s’interroger sur les modalités de fabrication d’un nouveau savoir ethnographique situé à la marge du champ des études amazighes en constitution au sein du département de Bejaia, majoritairement rédigé en langue tamazight et attirer l’attention des acteurs du champ des études amazighes sur les défis et risques liées à la construction expérimentale d’un métalangage en langue tamazight sans aucun cadre académique de critique et d’évaluation exhaustive
et rigoureuse. Nous nous intéresserons particulièrement au lancement d’un grand chantier d’enquêtes monographiques, en 2000, pour la réalisation des monographies villageoises dans le cadre des mémoires de licence, puis de master anthropologie.

Notre étude a pour but de mettre en lumière l’intérêt des enquêtes ethnographiques engagées par les étudiants de licence civilisation et de master anthropologie de 2000 à 2024 à travers la présentation d’un inventaire détaillé d’une partie des travaux réalisés, du corpus et du savoir accumulés, du cadre méthodologique adopté, des conditions du déroulement des enquêtes de terrain, et des modalités de leur restitution sous forme de textes ethnographiques. Ainsi, il s’agit également de travailler à déconstruire les clichés et stéréotypes qui dévalorisent l’approche ethnographique et monographique adoptée par l’ensemble des travaux réalisés au département, notamment les monographies villageoises qui constituent un quart de ces mémoires, tout en montrant, par ailleurs, sa pertinence méthodologique et sa capacité à s’adapter aux difficultés de production d’un savoir ethnographique en langue tamazight, et des enjeux de la construction expérimentale d’une métalangue. Notre objectif est de soumettre cette expérience pédagogique à l’examen critique de la communauté scientifique et d’éviter le cloisonnement des études amazighes.

Première ébauche de synthèse des travaux de monographies villageoises 

Les études sur les monographies villageoises ont longtemps été en vogue dans le domaine des sciences sociales, elle concernaient les communautés rurales depuis la fin du XIXe siècle, avant de s’éclipser et de devenir désuètes et discréditées durant les décennies 1970 et 1980 (Chiva, 1992). Cependant, à partir de la dernière décennie du XXe siècle, l’intérêt pour le local a commencé par s’affirmer dans l’agenda de la recherche ethnologique
et historique. (Ould Fella, 2021, p. 24)

Les premières monographies sur les villages de Kabylie datent de la période coloniale, où beaucoup d’officiers des Bureaux arabes (1860-1870), administrateurs et instituteurs (1880-1890)[9], ou d’officiers des SAS (sections administratives spécialisées) pendant la Guerre de libération et quelques universitaires[10], se sont intéressés aux différentes configurations des villages et tribus kabyles, à des fins de délimitation géographique et topographique des tribus puis des communes mises en place par l’administration coloniale. Quelques instituteurs, « missionnaires laïques », comme Veller (1888) se sont inspirés d’une tradition initiée en France par le ministère de l’instruction publique qui, dès 1860, demandait aux instituteurs exerçant dans les compagnes de rédiger des monographies de leur village selon un modèle préétabli
(Mohia, 2005, p. 72) ou réalisées dans le cadre de l’exposition universelle de 1900. Certains parmi eux étaient fascinés par les ressemblances des villages des indigènes notamment ceux du massif central kabyle avec les villages français d’Auvergne et de Corse[11]. Certaines monographies incluaient des textes en kabyle
et un panorama de traditions, culture, rituels et de folklore kabyles (Genevois, 1958, etc,).

Après l’indépendance, dans un contexte politique empreint de méfiance envers l’ethnologie, des études des « particularités culturelles » (berbères) et du local, très peu d’universitaires ou d’amateurs français et algériens ont réalisées quelques monographies[12]. Suite au « Printemps berbère » de 1980, des étudiants ont commencé à explorer cette thématique à l’université d’Alger[13], et dans le cadre de la formation de magister en Civilisation Amazigh assurée au sein des départements de langue et culture Amazighes (Kinzi A, 1998) et des universités françaises avec le travail colossal d’anthropologie historique sur la région de Kabylie de Mahé en 2001. La rareté et l’invisibilité de ces travaux monographiques ont donné l’impression de la disparition de ce genre ethnographique. Le lancement de la licence en langue
et culture Amazighe en 1997 allait relancer en 2001 ce chantier des monographies villageoises produites dans un cadre universitaire institutionnel et fait inédit rédigées en langue tamazight.

Ainsi, le village est devenu un cadre de recherche central dans les travaux de mémoires du DLCA. Le village[14] est scruté, inventorié et étudié dans ses différentes dimensions et à travers diverses approches que ce soit selon le modèle dominant de monographie villageoise ou à partir des thématiques variées sur les rituels, le folklore, le patrimoine, l’organisation sociale, la place des femmes et le mouvement associatif, etc.

Cet intérêt scientifique pour l’échelle locale s’accompagne d’une dynamique politique et sociale d’une profondeur inédite qui depuis 2001, a fait rendre plus visible les comités de villages comme acteurs importants de l’espace villageois et des arènes publiques régionales qui ont émergé (Ould Fella 2021).

Caractéristiques générales des travaux de monographies villageoises[15] du département 

Examinons la place des monographies villageoises dans l’agenda de recherche anthropologique au DLCA de Bejaia.

Tableau 2 : Répartition des travaux de Licence et de Master selon les thématiques de 2001 à 2024

Source : Archives personnelles.

De 2001 à 2024, sur les 232 travaux qui ont été réalisés dans le cadre des mémoires de licence ancien régime et du master anthropologie, l’anthropologie politique se hisse à la première place avec 69 travaux (30%), suivie de l’anthropologie culturelle
et du patrimoine avec 63 mémoires (27%), puis de l’anthropologie sociale avec 56 mémoires (24%). En quatrième position l’histoire avec 26 travaux soit (11%), en derniers, l’anthropologie religieuse avec 14 mémoires (6%), et l’archéologie avec 4 travaux (2%).

Ainsi, les monographies villageoises occupent une place importante dans l’agenda de recherche ethnographique au département amazigh puisqu’elles constituent près d’un quart des travaux réalisés, avec 56 mémoires (24%), 22 en licence classique et 34 en master anthropologie[16]. Pour la langue de rédaction,
la majorité des travaux (37) sont en langue tamazight, et un tiers (19) en langue française réalisés dans le cadre du master.

Huit de ces monographies ont abordé des centres administratifs
et périurbains (Tazmalt, Tadmait, etc), des quartiers (la kasba de Bejaia) ou des bidonvilles (Rhahlia à Oued Aissi), deux coordinations inter-villageoises (Asif Lhamam, Bouzeguene), trois monographies ont porté sur les rapports village-Tajmaεt (Adekar, Tiliouacadi à Sidi Aich, et Ibehlal à Bouira) ou village
et assemblée de femmes (Sahel à Bouzeguene). Seul un mémoire de master anthropologie a abordé le « arch » d’At Meddur (Haizer, Bouira). Enfin, 39 de ces monographies sur les communautés villageoises sont majoritairement consacrées à un seul village,
et trois monographies orientées vers l’étude des mutations sociales dans les communautés villageoises appartenant à une seule commune (At Mlikec, At Mensour, Fenaia). Ces différentes statistiques témoignent de la diversité des configurations des entités villageoises Kabyles.

Sur les 56 monographies villageoises, la wilaya de Bejaia a fait l’objet de 39 travaux (70%), Tizi-Ouzou 5 (9%)[17], Bouira 5 (92%), Sétif 4 (7%), Bordj Bouararidj 2 (4%) et une pour la wilaya de Timimoun (2%). 23 communes sur les 52 que compte la wilaya de Bejaia sont concernées par ces études (44%)[18].

Carte 1 : Distribution des monographies villageoises sur les communes de la wilaya de Bejaia

Source : https://gifex.com/fr/fichier/quelles-sont-les-communes-de-la-wilaya-de-bejaia/

1- Souk-Oufella

2- Tibane

3- Sidi-Aïch

4- Leflaye

5- Sidi-Ayad

De l’originalité de l’approche monographique 
et ethnographique

L’inscription de cette approche monographique comme axe central dans les mémoires des étudiants du département a suscité de vives critiques de la part des enseignants, (appartenant à différentes spécialités, y compris l’anthropologie et la sociologie), qui sous-estiment sa pertinence méthodologique et didactique dans la formation des étudiants et jugent qu’elle manque d’ambition analytique. Cette « disqualification » de la démarche ethnographique par les tenants du modèle expérimental et de la sociologie quantitative est encore dominante de façon anachronique dans l’orientation des recherches en Algérie et en décalage par rapport à la percée de la sociologie qualitative depuis les années 1970 aux États-Unis ainsi que la réémergence, même tardive et timide, de l’anthropologie au sein de l’institution universitaire algérienne. Certains collègues des départements Amazigh de Bejaia et de Tizi-Ouzou considèrent l’approche monographique (villageoise) et la description ethnographique comme une banalité ou un « genre mineur » qui ne permet pas de valoriser et de se réapproprier l’identité amazighe, ou d’initier les étudiants à l’analyse théorique puisqu’elle se contente d’une description jugée plate.

Ce dédain de l’approche monographique s’ajoute aux nombreuses critiques qui ont pointé « ses exigences contradictoires » (Marc Tabani, 2001), son ambition holiste, totalisante
et d’exhaustivité qui tend vers une formalisation des monographies qui leur fait perdre tout intérêt comparatif (Copans, 1996, p.16).
La tendance à donner une vision homogène des unités étudiées appréhendées comme « isolat stable » déconnecté de la société globale, conduit à gommer les dysfonctionnements et les conflits (Géraud, 2002, p. 28-29).

En quoi les travaux de monographies effectués au département sont-ils pertinents ? Comment peuvent-ils surmonter les obstacles méthodologiques ? De quelle manière l’encadrement pédagogique de ces travaux a pris en charge ces difficultés méthodologiques pour permettre aux étudiants d’élaborer des travaux sérieux ?

Avant d’examiner ces questions, précisons que la monographie a été utilisée dans ces travaux comme « un genre ethnologique consistant en l’analyse la plus complète possible d’un groupement humain, d’une institution ou d’un fait social particulier » et comme une méthode d’investigation et un mode de présentation des données. Elle est « fondée sur une démarche inductive, privilégiant l’observation directe et prolongée des faits […] » (Bromberger, 2004, p. 484).

Par ailleurs, nous avons inscrit notre démarche méthodologique dans une approche d’enquête ethnographique qui s’appuie sur l’implication directe de l’enquêteur qui pratique « une observation prolongée, continue ou fractionnée, d’un milieu, de situations ou d’activités, adossée à des savoir-faire qui comprennent l’accès au(x) terrain(s) (se faire accepter, gagner la confiance, trouver sa place, savoir en sortir…), la prise de notes la plus dense et la plus précise possible et/ou l’enregistrement audio ou vidéo de séquences d’activités in situ. » (Cefaï, 2010, p. 7).

Le village comme matrice anthropologique de l’identité amazigh

L’intérêt manifesté pour les monographies villageoises découle d’un choix méthodologique délibéré opéré en 2000 par moi-même et ma collègue Abrous (deux seuls enseignants permanents de la spécialité civilisation amazighe). Deux arguments justifient cette approche, l’un est d’ordre anthropologique ; le second relève de l’aspect méthodologique.

Le village kabyle a été un des cadres centraux des études ethnologiques coloniales et postcoloniales sur la Kabylie. Ainsi, nous avons considéré que l’espace physique et historique villageois concentre la matrice et la profondeur anthropologique de la culture amazighe que nous considérons comme objet d’étude anthropologique mais aussi comme objectif de réapproprier toute la richesse et la diversité de cette culture, les modes d’organisation sociale, la pérennité des assemblées villageoises mises en évidence par les travaux de Mahé (2001) et d’autres chercheurs (Salhi, 1999, 2004 ; Ould Fella, 2011, 2021 ; Kinzi 1998, 2007), les rituels, le système de valeurs, la diversité et la vivacité de la littérature orale qui s’y exprime encore ou qui sont menacés de disparition. Cet aspect de la recherche se situe donc à rebours d’une approche folklorique passéiste et nostalgique comme ce fut le cas de beaucoup de monographies réalisées durant la période coloniale par des officiers des Bureaux arabes[19] et des SAS (sections administratives spécialisées) ou même par certains ethnologues, comme Jean Servier (1962). Cela dit, nous sommes conscients que le village comme territoire est loin de présenter à lui seul la diversité des situations vécues en Kabylie, la richesse de ses configurations urbaines et sous-urbaines, et leur caractère évolutif doit être l’objet d’une attention particulière. En nous inspirant de l’interrogation et de la réflexion de Abdelfatah-Lalmi (2004) qui se demandait où se trouve la Kabylie, nous sommes en mesure d’indiquer que la Kabylie ne se réduit pas à un modèle de village du Djurdjura exploré et promu par les études ethnologiques coloniales mais qu’elle s’exprime aussi dans la diversité, la richesse de ses différentes configurations spatiales et historiques dans des territoires diversifiés de la Kabylie maritime, de la Soummam, des Babors, des Bibans, du Guergour etc. D’où l’intérêt pour la nouvelle recherche anthropologique en langue tamazight, en langue française et éventuellement en langue arabe, d’initier des enquêtes ethnographiques pas seulement sur les villages de montagne et de la plaine, mais aussi sur les quartiers des villes, d’agglomérations en cours d’émergence et chefs-lieux de communes et de daïras en plein mutation et décrire la diversité
et la densité du tissu associatif qui s’y tisse et des profils des acteurs qui s’y engagent.

Un cadre d’initiation à la description ethnographique en langue tamazight

Sur les 232 travaux de licence et de master anthropologie réalisés de 2001 à 2024, 128 sont rédigés en langue tamazight
(55 %) et 104 en langue française (45 %). L’usage de tamazight en licence classique est plus important (95 %) que celui observé au cursus de master (29%). La langue tamazight est beaucoup plus utilisée par les étudiants, particulièrement les étudiantes, pour traiter des thématiques liées à l’anthropologie du patrimoine et du folklore, et des monographies villageoises que pour aborder des thématiques des mobilisations sociales et politiques. Nous avions déjà examiné cette problématique complexe (Ould Fella, 2025b)
et nous voudrions éclaircir, ici, le choix que nous avions fait de privilégier l’usage de la langue tamazight, de manière expérimentale, lors de la réalisation des monographies villageoises,
et soulever quelques limites de cette démarche.

En effet, lors du lancement de ce chantier en 2000, nous avions estimé que le cadre monographique comme exercice fondamentalement descriptif, présente bien des avantages pour l’initiation des étudiants au travail ethnographique. Situation inédite aussi bien pour la langue tamazight que pour la spécialité d’anthropologie qui entame à peine son retour dans le champ universitaire. Les étudiants sont invités à faire des enquêtes ethnographiques et souvent en rendre compte dans une langue qui ne possède pas encore de lexique spécialisé et approprié et encore moins d’un corpus théorique. C’est aussi pour cette raison que le cadre monographique nous semble le mieux indiqué du fait qu’il n’impose pas a priori de strictes exigences théoriques ou le recours à des concepts très élaborés. D’où nos recommandations aux étudiants de puiser dans les différents registres de la langue kabyle des enquêtés et dans les autres parlers berbères avant de recourir, avec parcimonie, à l’usage de néologismes confirmés notamment dans l’Amawal de Mammeri (1974)[20].

Cette initiation des étudiants à l’enquête et à la description monographique s’est faite dans un cadre méthodologique standardisé sous forme d’un guide de recherche dénommé « modèle d’élaboration d’une monographie villageoise » que nous avons mis en place[21].

Par ailleurs, la pratique de la description détaillée, contextualisée, située, colorée, variée, dense, réceptive au contexte, révélatrice, poignante, esthétique et riche (Katz, 2001) est un exercice pratique indispensable dans le cursus de formation en anthropologie. La monographie est un cadre initial pour cet apprentissage et mise à l’épreuve, puisqu’elle porte son observation sur les petites unités à l’instar de cette longue et riche expérience de travaux de monographies de villages de l’école sociologique romaine dirigée par Gusti[22], des monographies d’administrateurs provinciaux et d’instituteurs en France (Muller, 2003, p. 50) de familles, de métiers et de communes réalisées par Le Play (1862)[23] et de bien d’autres chercheurs qui ont produit des monographies sur la Kabylie.

L’enquête ethnographique : l’accès au terrain, modes de présence et occupation de places

En se basant sur l’opinion de Marcel Maget, l’un des promoteurs de l’approche monographique et particulièrement de la monographie villageoise en France, qui affirme que « le village est un lieu de prédilection pour l’enquête monographique » (Maget, 1953), nous avions estimé que ce cadre méthodologique faciliterait l’accès au terrain pour les étudiants. En raison de leur appartenance au village étudié et de leur proximité géographique et culturelle avec le terrain d’enquête ainsi que de l’imprégnation avec le monde des enquêtés, l’investigation peut se faire dans des conditions moins difficiles, même s’il est nécessaire de faire attention à ce rapport de familiarité qui nous rend aveugle à l’égard des réalités ordinaires et exige un travail de réflexivité. 

L’étude approfondie d’une entité villageoise restreinte amène l’enquêteur à la négociation permanente de places avec les enquêtés (collaborateurs) qui lui assignent des statuts. Accepter d’occuper ces places assignées par les enquêtés c’est se laisser affecter par l’expérimentation personnelle des intensités spécifiques et des affects, (Favret-Saada, 2009, p. 153-157) en tant que partenaire et villageois impliqué et engagé dans le réseau de relations interpersonnelles. L’objectif est d’amener l’étudiant à s’impliquer personnellement dans l’enquête de terrain, de faire de la participation un instrument d’enquête, de prendre part aux activités des concitoyens et de s’y impliquer[24], puis de tenir un journal de terrain de façon systématique pour rendre compte de ce qui s’est passé, enfin de transformer cette expérience de terrain, qui modifie et ébranle le chercheur, en un objet et en texte scientifique. (Favret-Saada, 2009, p. 160).

Cette implication du chercheur sur le terrain, in situ et in vivo, prend des formes diverses. De la participation, il peut alterner des phases d’entretiens approfondis, des récits de vie avec les enquêtés et des moments d’observation directe et exhaustive continue ou fractionnée « comme simple témoin » (Cefaï, 2013), et de collecte et d’exploitation de documents.

Enquêter, décrire et comparer 

Quant au manque de perspective comparative de cette démarche monographique, elle pose en réalité la question de la grandeur d’échelle spatiale et temporelle de l’enquête et de la généralisation à partir d’une description ethnographique et empirique minutieuse, d’une étude de cas. Comment connaitre les mutations des assemblées villageoises en Kabylie depuis le passage à la légalité républicaine en 1989-90 en se constituant comme associations sociales souvent dotées d’agrément, si on n’effectuait pas d’études de cas sur des villages situés ?

En ce qui nous concerne, au début de la réalisation des travaux de monographies en 2000-2001, nous n’avions pas envisagé d’engager, à court terme, une perspective comparative entre les villages de Kabylie et encore moins avec ceux de l’Algérie et du Maghreb. Le comparatisme était inhérent à notre démarche monographique dans le sens où la dimension temporelle historique du village est prise en charge afin de décrire les multiples mutations survenues dans le village. Par ailleurs, l’un des apports de notre choix d’engager l’enquête ethnographique sur les villages kabyles dans la région de Bejaia c’est d’avoir investi un site d’enquête très peu exploré par les études monographiques, comparativement à celles effectuées sur d’autres localités de Kabylie.

C’est à la faveur de la multiplication des travaux de monographies villageoises et l’accumulation des données empiriques, au fil des années d’encadrement, que nous avons pris en charge cette perspective de construction d’un regard comparatif pour dégager et repérer des traits communs à une multiplicité de situations, d’actions ou d’événements, et inventorier des configurations plus au moins stabilisées. Il s’agit dans un premier moment de faire la synthèse des différentes monographies faites dans le DLCA de Bejaia et de les comparer ensuite avec celles réalisées au DLCA de Tizi-Ouzou, et celles produites pendant la période coloniale pour examiner les variations, les transformations et les continuités observées chez ces communautés villageoises en plein mutation[25]. Les monographies de Henri Genevois constituaient la référence principale de comparaison, du fait de leur visibilité et disponibilité. Le travail de Mahé (2001), de par la richesse des matériaux historiques et archivistiques qu’ils exploitent, et l’ampleur de l’analyse qui s’étend à toute la « Grande Kabylie » et qui insiste sur les différenciations selon les types d’espaces, offre une perspective comparative originelle.

Dette critique et ambitions nouvelles

Notre démarche s’inscrit dans la filiation critique des études anthropologiques et du savoir produit sur le Maghreb
et particulièrement sur l’Algérie. Nous exprimons notre dette critique envers les savoirs ethnologiques produits sur la Kabylie que nous voulions nous réapproprier après un examen critique. C’est dans ce sens que les monographies villageoises ont tenté d’éviter de reproduire l’approche folkloriste et muséographique ou de produire une image élogieuse du village kabyle comme citadelle démocratique et éden de la culture kabyle à sauvegarder[26].

Nous avons également engagé un effort de renouvellement des données de terrain et entamé la réflexion sur l’état des villages dans la Kabylie du nouveau millénaire. C’est dans ce contexte que les travaux de Salhi (1999, 2002, 2004), de Kinzi (1998, 2007)
et Mahé (2001) sur la Kabylie et les assemblées villageoises constituent pour nous des références incontournables qui ont marqué les études anthropologiques sur la Kabylie et des sources d’inspiration théorique et méthodologique féconde. L’apport de Mahé se situe dans ses contributions à l’étude de l’assemblée villageoise considérée comme « la principale source de légitimité politique et le foyer symbolique d’origine du lien social. »
(2001, p. 568) et que « la sacralité de la harma du village [qui]
a été peu affecté par les évolutions multidimensionnelles qu’a connues la Tajmaεt» (2001, p. 490). D’où l’intérêt que nous portons à la description ethnographique de l’espace public villageois, particulièrement les assemblées villageoises et les diverses mutations qu’elles ont subies au lendemain de l’indépendance et depuis leur reconnaissance légale, transformées en comités de villages et souvent dotées d’agreement de statut associatif (Loi 90/31 du 4 décembre 1990, Loi 12-06 du 12 janvier 2012), qui engagent des processus de coopération et de conflit avec de nouveaux acteurs associatifs, partisans et des élus des collectivités locales issus, en partie, de leurs rangs.

Au-delà du débat scientifique sur l’utilité de l’approche ethnographique et ses implications politiques soulevées par ses détracteurs, nous souscrivons au pluralisme descriptif
et ethnographique (Cefaï, 2011, p. 550) qui admet des modalités diverses de rendre compte de ce qui se passe dans une situation, action, interaction ou activité, avec des styles narratifs variés, des découpages, agencements, mises en ordre et mises en scènes, mais aussi, échelles de grandeurs multiples, s’appuient sur les contextes d’expérience des enquêtés et peuvent accorder une place aux épreuves du chercheur sur le terrain ou avec un style réaliste qui prend distance et laisse parler la situation. Nous ambitionnons d’amener les jeunes étudiants en anthropologie, à partir de ces mises à l’épreuve du terrain et de la description ethnographique, à acquérir des compétences et des savoir-faire indispensables dans la perspective du renouvellement de l’ethnographie du champ des études amazighes dans les langues en présence, notamment en langue tamazight.

À cet effet, un effort de synthèse des travaux déjà réalisés est plus que nécessaire pour dégager les interrogations et les perspectives de recherche les plus pertinentes.

Conclusion

L’ethnographie expérimentale en langue tamazight, malgré ses insuffisances et ses limites, a le mérite d’atteindre ce premier objectif d’élaboration des descriptions ethnographiques et monographiques en langue tamazight et de produire un corpus riche et inédit de données ethnographiques peu visibles pour la communauté scientifique. Elle a su aborder les réticences et les critiques à l’égard de la démarche monographique
et ethnographiques et tracer de nouvelles pistes prometteuses pour la relance des études ethnographiques en langue tamazight. La réhabilitation de l’anthropologie nécessite indubitablement par la relance de la dynamique des enquêtes ethnographiques.

Ces études monographiques constituent un premier jalon vers une enquête comparative d’abord à l’échelle régionale de la Kabylie, puis avec l’ensemble berbère en Algérie et en Afrique du Nord dans un second temps. Le mérite de ces enquêtes est de nous offrir un corpus riche de données ethnographiques de première main, et les annexes des mémoires contiennent des documents exceptionnels et inédits qui nécessiteraient une investigation, une actualisation, un enrichissement et de nouveaux questionnements. C’est dans cette optique qu’une une nouvelle perspective de recherche de « revisite ethnographique » du terrain
(Burawoy, 2003 ; 2010) a émergé, permettant de décrire les mutations, les variations et les transformations du terrain, discuter, prolonger et faire murir les premières hypothèses et en construire d’autres. Qu’elle prenne la forme d’une « revisite ciblée », « en continue », « périodique », « archéologique », « heuristique » ou « de confirmation », ou en s’inspirant de l’ethnographie multisituée de Marcus (1995 ; 2010) enquêter sur des terrains en mouvement et en flux, suivre des objets, des conflits, des intrigues et des individus et des vies, vise à décrire comment se prolonge le village Kabyle dans l’émigration à l’ère de la mondialisation et de la révolution numérique et être citoyen et villageois au cœur des cités cosmopolites. Ces démarches représentent l’une des voies envisageables pour offrir une perspective académique à cette nouvelle ethnographie en gestation en langue tamazight ouverte aux autres langues. Elle se trouve prise en tenaille et prise entre deux contraintes, d’une part, censurer, stigmatiser, empêcher ou, à défaut, contrôler l’émergence d’une recherche anthropologique autonome et critique, et d’autre part, une volonté de folkloriser les études anthropologiques amazighes.

Notre expérience de recherche ethnographique nous a amenés à réaliser l’importance d’adopter une perspective réflexive et critique concernant la production d’un savoir ethnographique en langue tamazight (en construction), et plus particulièrement sur le processus de mise en place d'une métalangue savante, engagé depuis les années 1990, dans un contexte d’urgence et sans supervision par une autorité académique compétente
et consensuelle. Enfin, ce premier bilan esquissé dans notre étude ouvre de nouvelles perspectives afin de désenclaver et redynamiser le champ des études amazighes.

Notes de bas de page

(1) Université Abderhmane Mira, 6000 Bejaia, Algérie.

Le CRASC est le développement de l’unité de recherche (URASC), créée en 1987, il est doté d’une revue d’anthropologie et des sciences humaines, Insaniyat lancée en 1997, qui s’est imposée comme l’un des rares espaces scientifiques de référence dans le domaine des recherches anthropologiques.

Le CRAPE, rattaché en 1984 au Centre national d’études historiques, sera transformé en Centre national de recherches préhistoriques, anthropologique
et historiques (CNRPAH) en 2003. Lybica est la revue du CRAPE.

L’Institut national supérieur de culture populaire de Tlemcen, ouvert en 1987 comme réponse des autorités aux doléances du « Printemps berbère » de 1980, a programmé un cours de langue tamazight au cours de l’année 1990 assuré par Amar Zentar. Il délivre également le diplôme de magister anthropologie au milieu des années 1990 et 2000.

Sur les 54 travaux signalés sur le site du CRASC, 32 mémoires sont rédigés en langue française et 22 en langue arabe 22 thèmes concernent la Kabylie.

En 2014, le département des sciences sociales de l’université de Tizi-Ouzou, a ouvert une spécialité anthropologie dès la 2ème année licence et un master anthropologie sociale et culturelle en 2017. Le département amazigh de Bejaia a mis en place en 2015-2016 une spécialité anthropologie en 3ème année licence, filière langue et civilisation. En février 2025, plusieurs postes de doctorat en anthropologie sont ouverts dans certaines universités. À la faculté des sciences humaines et sociales de l’université de Tizi-Ouzou, trois postes en sociologie
et anthropologie générale et trois autres au DLCA en anthropologie du patrimoine et de la culture amazighs et au DLCA de Batna, trois postes en anthropologie du patrimoine et de la culture amazighe.

Nous remercions Alain Mahe et Malika Assam pour leurs orientations critiques et leurs conseils bibliographiques.

Ce chiffre est approximatif, puisqu’il ne tient pas compte de quatre diplômés
de licence classique qui ont obtenu par la suite le diplôme de master. De ce fait, ils sont comptabilisés deux fois. Par ailleurs, nous n’avons pas inclus le nombre de 332 diplômés de licence LMD, option civilisation ou anthropologie, obtenus entre 2010 et 2024.

On peut signaler les rapports de stage des fonctionnaires et administrateurs formés au sein du CHEAM, Centre des Hautes Études d’Administration Musulmane, créé en 1936 par Robert Montagne. Près de 2546 textes furent rédigés et regroupés en 111 volumes entre 1936 et 1954. Voir Mahé (2001, p. 390) et Santucci (1993).

Servier, J. (1966).

Alain Mahé signale que les villages de la commune mixte du Djurdjura et de Fort National aujourd’hui Larbaâ Nath Iraten cumulant les traits spécifiques de la Kabylie (densité de la population, importance de l’artisanat et traditions municipales vigoureuses) aux maisons jointives recouvertes de tuiles rouges et resserrés au sein de villages populeux et industrieux apparaissaient aux conquérants comme la réplique des villages auvergnats. (Mahé, 2001, p. 183-184).

Les monographies du Père H. Genevois publié au FDB sur Lgemaa n Saridj, 1958, Aït Menguellet, 1962, Tagmount Azouz, 1972, At Yenni, 1971,
et celle de Lacoste-Dujardin, (1976), de Bennoune (1986), de Messemene
(1987-1988), de Lasheb ( 2015), Taleb (2016).

Des mémoires de licence de sociologie culturelle, rédigés en langue arabe, ont pris comme cadre d’enquête de terrain le village de Kabylie, pour décrire les mutations des assemblées villageoises, des rituels et du droit coutumier kabyle
et s’interroger sur la place des femmes. Ould Fella A, Lekadir Y, (1988) Kinzi A, Belmellat S (1988).

Cette diversité se retrouve aussi dans les catégories utilisées pour désigner cette entité. En plus du terme connu de taddart, dans certaines localités de l’est de Bejaia, commune At Smail, taddart est synonyme de l’espace situé à l’entrée des habitations et le village est désigné par Akerti, probablement forme kabylisée du mot quartier.

La monographie villageoise est désignée en kabyle par le néologisme taynarrayt n taddart. Au département de Tizi-Ouzou, on préfère le terme de Tayennirrawt n taddart.

La fréquence de la réalisation des monographies villageoises n’est pas régulière durant ces 24 ans. Parfois aucun travail n’est soutenu en 2002, 2010 et 2012 (sur un total de trois et cinq travaux par an) et durant onze années il n’y avait seulement qu’un ou deux mémoires par an. Dans les meilleurs des cas, elles constituaient la moitié ou le tiers des travaux en anthropologie (5/10 en 2019, 4/7 en 2005, 6 sur 14 mémoires en 2018, 4/14 en 2016, 4/12 en 2007, 4/13 en 2008, etc.).

Bouzeguene 1, Zekri1, Timizart1, Oued Aissi1 et Tadmait1.

Les villages et communes situés sur le flanc de la montagne d’Akfadou et du Djurdjura sont les plus étudiés avec 22 monographies, à l’instar d’Ighram2, Chellata2, At Mlikec2, Tazmalt1, Chemini2, Souk Oufella3, Akfadou3
et Adekar4, Taourirt Ighil2, Beni Ksila1. La rive sud de la Soummam a moins capté l’intérêt des étudiants avec 11 monographies : Ighil Ali 2, Seddouk2, Amalou1, Mcisna1, Timezrit2, Semaoune1, At Maouche1, Barbacha2. Les communes situées à l’est de la ville de Bejaia, avec seulement 5 monographies : Aokas, Melbou, Tamridjt et Ait Smail 2.

En dépit du contexte colonial, certains officiers, administrateurs et missionnaires ont laissé à la postérité des données ethnographiques et linguistiques inestimables comme Genevois et notamment Hanoteau et Letourneux avec leur œuvre
La Kabylie et les coutumes Kabyles, 3 vols. 1871-73 qui représente l’âge d’or de l’ethnologie militaire (Colonna 1987).

Les étudiants sont tenus d'indiquer les sources des néologismes utilisés
et d’inclure, pour chaque traduction d'un texte vers tamazight, le texte original en note de bas de page afin de pouvoir juger la qualité de la traduction.

Nous avions, moi et Abrous, pris en charge l’élaboration de ce modèle que nous n’avions jamais cessé d’améliorer à chaque nouvelle année universitaire pour capitaliser l’expérience d’encadrement collectif renforcé par l’arrivée de Karima Ouazar et Essaid Allam. Mes nombreux échanges avec Alain Mahé dès 2003
et ses précieuses remarques faites sur un premier texte de brouillon de ce même modèle, m’a conduit à prendre en compte ses orientations et les limites d’un tel modèle. Nous avions longtemps travaillé ensemble dans le cadre d’une équipe de recherche qu’il dirigeait sur l’action collective à l’échelle locale au Maghreb (2005-2010) ce qui nous a conduit à enquêter ensemble et de ce fait toute cette expérience d’enquête collective se retrouve injectée dans ce modèle.

Voir la revue Etudes sociales, n° 153-154 de 2011 consacres à l’école sociologique romaine (1918-1948).

Le Play a mis en place un guide d’enquête et de rédaction de monographies dans L’instruction sur la méthode d’observation dite des monographies de familles 1862. Voir Etudes sociales, 2000, 1/2, n°131-132, p. 203.

Une des difficultés de cette immersion est liée au genre des enquêteurs qui se trouvent face à des espaces et des sites d’enquête inaccessibles. Les étudiantes ne peuvent pas expérimenter cette implication de la même manière que les étudiants dans les espaces publics de Tajmaεt, ou inversement dans des cercles féminins. Notre approche méthodologique dynamique s’adapte à ces contraintes en orientant et privilégiant l’enquête monographique sur les dimensions accessibles aux enquêteurs, de sorte qu’on peut réaliser des monographies villageoises à partir de perspectives différentes liées au genre aussi bien des enquêteurs que des enquêtés.

C’est ce que nous avons entamé dans le cadre d’un projet de recherche sur le village Kabyle, approche monographique entre 2011 et 2014 au CRASC. Par ailleurs, dans le modèle d’élaboration des monographies villageoises (2004-2005), il est recommandé d’adopter une approche comparative avec « les monographies villageoises déjà réalisées ».

Une des difficultés méthodologiques de travailler sur les monographies villageoises est d’amener l’étudiant qui travaille sur son propre village à adopter une attitude réflexive vis-à-vis de l’objet de l’étude, de ne pas se considérer comme le représentant de son groupe et d’éviter de produire une image idéalisée de son village, dictée ou suggérée par ses concitoyens. D’où la transformation de certaines monographies en guides touristiques des villages. Ceci dit, beaucoup de monographies sont objectives et fiables.

Bibliographie

Bibliographie 

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[Thèse de doctorat, Université du Havre].

Parmi les monographies, on citera celle de l’instituteur Auguste Veller,1888, sur la commune mixte de Sidi Aich, de Sebatier, 1885, sur Akbou, Bujega, 1921, sur la commune mixte de Beni Mansour. Sur les villages de Tizi-Ouzou, on peut citer : les monographies de familles de Le Play, F., 1885, sur la famille de paysans au village de Taboudoucht, Tigzirt, d’une famille d’un colporteur de Beni Douala, Barlette L., 1913, Monographie de la commune mixte de Draa El Mizan, Martiel Rémond, 1930, Un village Kabyle, Cahiers du centenaire.

La complexité du projet de recherche mis en place depuis 2000 consiste, en partie, dans la densité du tissu villageois et de la diversité des configurations urbanistiques en Kabylie qui est composé de pas moins de 2500 villages. 1400 à Tizi-Ouzou, 895 à Bejaia en 1997 selon M.A. Djenane (cité par Yesguer 2009) ou bien 1100 villages selon la stratégie de la wilaya de Bejaïa de développement rural durable (SWDRD), en 2004 (Akerkar, 2015, p. 295). Ces chiffres ne comptabilisent pas les villages kabyles situés dans les wilayas de Bouira, Boumerdes, Setif, Bordj Bouraridj, et Jijel.

La définition de cette catégorie « village » fait l’objet d’une analyse dans une partie de l’article (Ould Fella 2025c) qui porte sur le corpus contenu dans ces travaux ethnographiques des étudiants. Au-delà de la diversité des configurations des villages, il faut mettre en lumière l’« ambivalence du village où se conjuguent généalogie et territorialité » (Mahé, 2001, p. 138) où le politique est un « facteur constitutif » des communautés villageoises (Roberts, 2021, p. 8).

Citer cet article

OULD FELLA, A. (2025). Les études monographiques des villages de Kabylie dans l’université de Bejaia : entre relance et refondation. Insaniyat - Revue algérienne d'Anthropologie et de Sciences Sociales, 29(107), 79–99. https://www.insaniyat.crasc.dz/fr/article/les-etudes-monographiques-des-villages-de-kabylie-dans-luniversite-de-bejaia-entre-relance-et-refondation