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Graffiti et identités urbaines dans les quartiers populaires à Alger


Insaniyat N°s85-86| 2019 |Les graffiti en Afrique du Nord : les voix de l'underground|p.153 -171 | Texte intégral



Wafaa BEDJAOUI: Université Alger 2, Abou El Kacem Saad Allah, 16 000, Alger, Algérie

                                    Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.


Investi par différentes formes d’inscriptions murales, l’espace urbain de la ville d’Alger se révèle riche en pratiques langagières et discursives. Nous y observons l’imbrication de langues et de signes pour marquer/démarquer les voix de sa composante humaine, notamment  sa jeunesse

Notre contribution[1] a pour objectif de mettre en exergue un espace bien particulier de (re)production discursive à Alger, qui a trait à la pratique du graffiti. Cette pratique sociolangagière est au centre de nos préoccupations sociolinguistiques et de nos réflexions épistémologiques.

Nous nous interrogeons sur les tenants et les aboutissants de cette pratique préalablement étudiée par d’autres sociolinguistes algériens dans ses dimensions linguistiques, langagières et discursives. Notre choix porte sur trois quartiers d’Alger qui n’ont pas, à notre connaissance, fait l’objet de recherches en sociolinguistique. Ce choix est justifié par la diversité des graffiti observés en matière de thèmes et de langues en présence dans ces quartiers. Notre réflexion s’articule autour de la question suivante : Comment se déploie l’identité urbaine à travers la pratique du graffiti à Bourouba, à Bentalha et à la Madrague[2]?

Les écritures urbaines engagent à ce propos une autre série de questions sur les actes scripturaux et leurs auteurs : Quels sujets sont ainsi rendus publics par ce mode particulier de communication ? Que disent ces écritures  du rapport à l’espace de leur production ? Que disent-elles de la vie sociale, politique et culturelle des contextes qu’elles investissent? Comment l’idée d’ « acte d’écriture » s’articule-t-elle à celle d’« acte d’image » ?

S’inscrivant dans le champ de la sociolinguistique urbaine telle qu’elle est préconisée par (Bulot, 1999, 2004), nous partons du fait que la ville, en tant qu’espace social et socialisable, est le lieu des mutations dans un rapport de domination entre les différents groupes sociaux. La notion de culture urbaine se rapporte ainsi à tout ce qui se joue dans la ville. « En d’autres termes, l’espace n’est plus envisagé comme une donnée posée mais plutôt comme un acteur des changements sociaux » (Djerroud, 2018, p. 43).

Notre réflexion ontologique est nourrie par quelques concepts clés de la sociolinguistique urbaine, à savoir l’identité urbaine et la mémoire urbaine. Nous convoquons ces deux concepts par souci de théorisation du phénomène des graffiti qui se donnent à lire comme des représentations d’une identité urbaine dite jeune et à travers lesquels la matérialisation des maux sociaux participe à la construction d’une mémoire urbaine affichée en synchronie et/ou renouvelée en cas d’effacement par les autorités locales. Selon Bulot et Tsekos, « L’une des spécificités du terrain urbanisé est (…) que les habitants d’une ville ont conscience de leur appartenance à une entité qui est uniforme et isolable mais aussi complexe, dans la mesure où leur discours sur cette entité montre une constante construction/déconstruction des espaces sociaux. C’est pourquoi, l’identité urbaine à la fois très reconnaissable et très évanescente, selon le prisme par lequel on l’aborde, se définit par rapport à un processus quasi dialectique entre conjonction (le rapport à la communauté) et disjonction (le rapport à l’altérité) » (1999, p. 21).

Nous retenons, à la suite de cette citation, que les jeunes graffiteurs se forgent une identité urbaine qui se lit dans les mises en mots de leurs discours et de leurs positions quant aux thématiques qu’ils apposent sur les murs. Le graffiti est donc tracé en tant que témoignage physique d’une main et d’un geste mais sa spécificité tient aussi au fait qu’il est intimement lié à la parole et à la volonté de produire du sens. Le graffiti est une trace de la parole humaine. Barthes s’exprimait ainsi : « je sens ma main agir, tourner, lier, plonger, se lever, et bien souvent, par le jeu des corrections, raturer ou faire éclater la ligne…Mon corps jouit de tracer, d’inciser rythmiquement une surface vierge » (Druet et Grégoire, 1976, p. 4).

Le graffiti est la trace du geste intentionnel d’une personne qui veut transmettre un message. Il participe, à ce titre, d’une démarque quasi rituelle d’un marquage identitaire. Il est cependant écriture car il y a appropriation par le graffitteur des lettres qui, bien que déformées, déchiquetées, sont le point de départ de nouvelles formes visuelles   d’acte d’image. (Bredekamp, 2015).

Quand on observe les slogans des supporters des différents clubs de football algériens, on comprend que l’identité affichée est celle d’un fan de club qui exclut les autres clubs, et a priori les autres fans.  L’appropriation des murs par les fans des deux plus grands clubs algérois indiquent que l’inscription des abréviations MCA (Mouloudia Club d’Alger) ou USMA (Union Sportive de la Madina d’Alger) sur les murs d’Alger sous formes de graffiti sont à la fois une forme d’affirmation d’appartenance et d’exclusion de l’autre. Forme de sociabilité, remarque Ouaras, « les espaces de la ville d’Alger sont en passe de devenir la chasse gardée de cette nouvelle forme artistique à portée discursive pluridimensionnelle » (2018b, p. 281).

Ces manifestations sont progressivement devenues symbole d’une spontanéité involontaire et anonyme. Mais les enjeux identitaires et mémoriels sont omniprésents dans les graffiti qui sont un acte de résistance à cette dépersonnalisation. Inscrire son nom, son diminutif, son quartier, son club ou sa cité d’origine, ce n’est pas seulement laisser une trace de son passage. Dire « J’y étais », c’est aussi s’adresser aux autres.

Le second concept de notre cadre théorique est celui de la mémoire urbaine qui opère comme un procédé de marquage sociolinguistique. Grâce aux graffiti, la mémoire urbaine se matérialise par la mise en mots murale des propos des jeunes graffiteurs. Nous rejoignons Bulot qui considère la mémoire comme discours.

« Nous parlons encore de mémoire au sens presque commun du terme : elle est discours. Nous réservons le terme « mémoire sociolinguistique » aux discours sur les corrélations entre mémoire urbaine (le discours sur l’entité urbaine) et sociolinguistique (le discours sur à la fois la stratification sociolinguistique et à la fois la territorialisation, voire la mobilité linguistique) » (2004, p. 145).

Nous retenons ainsi que la mémoire urbaine se définit comme le discours épilinguistique sur l’identité urbaine. L’inscription murale, à travers laquelle les idées sont dites, écrites et dessinées, remplit cette fonction. Les murs sont ainsi le lieu idéal de cette pratique sociale du discours textuel et figuratif.

La pratique du graffiti est au centre de nombreux travaux de recherche en Algérie et ce, depuis une vingtaine d’années. L’attention est portée sur les caractéristiques de cette pratique, ses outils, ses discours et ses spécificités. Plusieurs villes algériennes ont été interrogées dans le cadre de ces recherches, à l’instar d’Alger (Ouaras, 2007, 2009, 2012, 2015, 2018a,b ; Megtef, 2008 ; Bestandji, 2018), Tizi Ouzou (Dourari, 2002 ; Si Hamdi, 2014), Constantine (Hedid, 2015) et Oran (Fatmi, 2006). 

Dans le cadre de ses recherches en sociolinguistique et en sociolinguistique urbaine, Hedid (2015) a focalisé son analyse sur l’apport de la gente féminine au street-art dans le contexte constantinois. Elle a conclu que la créativité des tagueuses ou des graffiteuses indique que le mode d’expression de la gente féminine se distingue de la gente masculine dans la mesure où les graffiti des filles sont moins violents notamment en raison des thématiques taguées qui se rapportent à l’amour, l’amitié, le monde des célébrités et les études.

Ce phénomène sociolangagier, de plus en plus visible dans l’espace public algérien, est au cœur des travaux de recherche entrepris par Ouaras (2007, 2009, 2012, 2015, 2018a,b). Ce qui ressort de la lecture de ses travaux permet d’observer la complexité de la pratique du graffiti et de suivre son cheminement et son évolution à Alger. Son dernier article, publié dans Cahiers de Linguistique en 2018, dans lequel il présente les résultats d’une étude menée dans un quartier d’Alger, situé entre El Biar et Alger Centre, révèle l’émergence du graffiti « professionnel » à Alger. Il y pose une rupture conceptuelle entre street art et graffiti et définit le street art comme étant une pratique figurative et esthétique qui a ses caractéristiques propres. Ouaras analyse et interprète les productions graphiques d’un groupe d’artistes algérois regroupés sous le pseudonyme 213 Writerz. Il en déduit que le street-art, en tant que pratique urbaine émergente, injecte du sens dans les espaces de la marge. Pour illustrer son propos, il s’appuie sur l’expérience du collectif 213 Writerz qui a choisi de se réapproprier une décharge sauvage sur les hauteurs d’Alger en y injectant de la couleur et du sens.

Dans un article récent, Bestandji, quant à elle, dresse un état des lieux des graffiti « autorisés » et « non autorisés » en affirmant que « L’espace urbain est redevenu terrain d’expression de ceux qui disaient les maux sociaux à demi-mots » (2018, p. 301). Elle y conclut que les graffiti se sont propagés ces dernières années notamment avec l’éclatement des cités-tours et des expositions artistiques.

Après ce bref état de l’art, force est de signaler que les travaux des chercheurs algériens, cités plus haut, ont dévoilé quelques facettes du phénomène qui nécessite d’autres recherches sur d’autres quartiers d’Alger pour mieux comprendre comment se déploie la mise en mur des graffiti.

Constitution des données et approche analytique

Notre enquête a été entamée en janvier 2017. Au commencement, nous avons procédé à la prise de photographies des graffiti de Bourouba (Ex-La Montagne), mais l’enquête s’est élargie à deux autres quartiers d’Alger, à savoir Baraki et Aïn Benian. Au total, soixante-dix graffiti photographiés dans les trois quartiers respectifs de la période allant de janvier 2017 à janvier 2019. Sur les soixante-dix graffiti photographiés, une cinquantaine a été retenue pour les besoins de cette étude.

Afin de répondre à notre question de recherche et atteindre les objectifs du projet de recherche évoqué plus haut, trois quartiers dits « sensibles » ont fait l’objet d’une recherche empirique. Au départ, le terrain d’enquête a été délimité à un seul quartier populaire, à savoir le quartier de Bourouba situé dans la circonscription d’El Harrach, à l’Est d’Alger. Or, avec la multiplication des graffiti dans plusieurs quartiers d’Alger notamment ceux dits « populaires », nous avons fait le choix d’élargir le terrain de nos investigations à deux autres quartiers qui présentent quelques similitudes avec le premier, à savoir Bentalha à Baraki (Sud-Est de la capitale) et La Madrague à Ain Benian, situé à l’Ouest d’Alger-centre. Notre objectif consiste à confronter nos résultats de recherche à ceux obtenus par les travaux antérieurs dans le domaine.

Pour revenir à cette idée des quartiers dits « populaires », Morelle et Laumonier insistent sur le fait que « nous assistons à la conjonction d’une nouvelle forme de pauvreté, urbaine et massive, d’une localisation précise dans l’espace urbain, dans les périphéries ou dans les interstices du centre-ville » (2006, p. 9). Cette pauvreté urbaine dont les causes remontent aux années de la décennie noire et aggravée par l’inertie économique du pays n’est pas sans incidence sur la démultiplication des graffiti exprimant le « ras-le-bol » de toute une jeunesse, voire de toute une société[3].

Selon Benalia (2015), les stratégies des populations des quartiers informels se distinguent par leur volonté de faire passer leur territoire dans le champ urbain légal. L’une de ces stratégies consiste à dire leurs maux par la voie des mots produits sous formes d’écriture urbaine.

Si les trois lieux ciblés dans le cadre de cette étude présentent des similitudes du point de vue de leurs composantes sociales, ils ont des caractéristiques urbanistiques différentes. Le quartier de Bourouba dont l’architecture est caractérisée par des bâtiments construits dans le cadre de plusieurs formules (logement social, logement participatif et logement individuel[4]) reflète les strates sociales composant cet espace. Selon les propos des responsables de la mairie de Bourouba, cette commune est la plus pauvre parmi toutes les communes d’Alger[5].

Bentalha partage avec Bourouba le même statut de quartier populaire, leurs composantes sociales sont faites majoritairement de jeunes qui souffrent de chômage[6]. Quant à l’architecture de Bentalha, elle est caractérisée par des constructions individuelles qui, parfois, ne répondent pas aux normes de construction. La raison en est le niveau financier des habitants qui ne peuvent payer les honoraires d’un architecte pour l’élaboration du plan de construction.

Se trouvant au bord de la mer, la Madrague est connue par son port et sa plage El Djamila abritant plusieurs restaurants où l’on sert du poisson. À l’instar des deux autres quartiers, les jeunes y constituent une forte population. Son architecture est caractérisée par de petites maisons et quelques villas louées lors des vacances d’été[7].

Les outils d’analyse de notre corpus sont puisés dans l’approche pragmatique du discours pour étudier l’effet de ces productions scripturales et dans l’appareillage conceptuel de la sociolinguistique pour appréhender le poids des langues et les phénomènes linguistiques et langagiers y afférents. Ainsi, les discours graffitiques seront appréhendés du point de vue de l’énonciateur « clandestin » ayant marqué son texte ou son discours sur les murs pour exprimer une émotion, un sentiment ou un coup de gueule.

Le graffiteur en tant qu’énonciateur :

« est présent dans ses messages par la subjectivité et ses modes d’auto-implication (…), les modalités d’auto-implication et d’interpellation contribuent à rendre l’image des protagonistes de la communication présente dans les messages échangés (…) les messages transportent en eux-mêmes des images des acteurs en présence » (Vion, 2000, p. 87).

Notre intérêt porte également sur l’impact des langues dans l’expression de tel ou tel thème, Il s’agit d’observer les phénomènes langagiers de variations, phénomènes révélateurs des caractéristiques de l’espace urbain étudié où les écrits urbains participent à la fabrique des lieux de sociabilité. Ce qui nous conduit à distinguer entre signalétique langagière et signalétique linguistique qui se dégage des graffiti tout en les caractérisant.

« La signalétique langagière qui sont les traces mémorielles autorisant un locuteur/acteur de l'espace urbain à choisir/utiliser telle ou telle variété de langue, de registre en interaction en tel lieu ou tel espace de ville…. Et la signalétique linguistique qui sont les traces inscrites, mémorées posant le locuteur et son groupe social de référence dans un cadre interactionnel tendanciellement hérité » (Bulot, 2004, p. 145-146).

Résultats de l’enquête

Nous avons procédé par trier les graffiti photographiés selon trois critères, à savoir : les langues utilisées, le format des graffiti et les thématiques qu’ils véhiculent. Cette classification est dénommée par Ouaras (2015) « classification extrinsèque » qui tient compte des formats et systèmes d’écriture et « classification intrinsèque » qui se rapporte aux thématiques véhiculées.

Les graffiti sous forme de texte représentent 50% de la totalité de ceux retenus dans cette recherche contre 41% qui associent texte et dessin, et 9% ne contenant que des dessins.  Cet état des lieux peut être expliqué par le statut des graffiteurs qui ne sont pas des graffiteurs professionnels mais des jeunes pour qui les mots ont une certaine valeur significative pour exprimer les maux sociaux qu’ils vivent. Les expressions murales textuelles observées indiquent un besoin de communiquer de la jeunesse. Quant aux graffiti textuels appuyés de dessins, ils transmettent des messages à la fois codés et décodés pour marquer un jeu de signes linguistiques et iconiques. Les graffiti présentés uniquement sous forme de dessins, sont exposés de façon artistique pour exprimer des états de joie et d’appartenance identitaire.

Le graphique 1 indique les langues employées dans les graffiti. Un éventail de langues y est enregistré. Selon les données recueillies, la langue la plus utilisée est la langue française, soit 45% de graffiti sont écrits en langue française contre 16% écrits dans un mélange d’arabe algérien et de français, 9% en arabe institutionnel[8] et 9% en anglais. Il est important de souligner que ces langues sont transcrites soit en graphies latines, soit en graphies arabes. L’élément retenu concernant cet aspect « c’est vouloir inscrire dans la durée un message, un discours, une différence, une singularité ou une appartenance » (Ouaras, 2015, p. 165). Outre le fait, qu’il existe des graffiti unilingues (arabe institutionnel, arabe algérien, français, anglais, kabyle), notre enquête nous a permis de noter des graffiti bilingues (kabyle-français, arabe algérien-français, français-anglais et arabe institutionnel-anglais). Il s’agit d’un bi-plurilinguisme éclaté qui a fait surgir des langues et des variétés de langues qui renseignent sur les caractéristiques linguistiques et identitaires de la ville d’Alger.

Graphique 1 : Langues des graffiti


Source : Auteure

Le graphique 2 met en avant les thématiques des graffiti retenus. Il s’est avéré que la thématique la plus affichée par les graffiteurs est celle relative au sport (35%). Les supporters des différents clubs de football de la capitale ne lésinent pas sur les moyens pour exposer leurs préférences et leurs légendes sportives sur les murs de leur ville. Les deux autres thématiques mises en mots ont trait aux problèmes sociaux (logement, chômage et harraga) avec un taux de 39%. Nous avons également remarqué la présence importante de discours identitaires, estimée à 13%, souvent exprimés par des graffiti représentant l’emblème amazigh ou le chantre de la revendication amazigh, Lounes Matoub[9]. Les autres thématiques relèvent de la sensibilisation et de la morale par le recours à des versets coraniques. Les causes internationales telles que la cause palestinienne est également représentée. Nous avons aussi repéré des graffiti ésotériques nécessitant un traitement psycho-sociolinguistique qui n’est pas du ressort de la présente étude.

Graphique 2 : Thèmes des graffiti

 

Source : Auteure

Après avoir donné un aperçu sur le format des graffiti, leurs langues et leurs thématiques, nous allons voir de plus près comment les graffiteurs mettent en mots ces productions discursives censées être le porte-parole de ceux qui les dessinent.

Nous avons choisi d’analyser les graffiti par thématique afin de comprendre les stratégies déployées (langues utilisées, procédés discursifs et outils linguistiques ou sémiologiques) par les graffiteurs. Les graffiti retenus pour l’analyse sont les graffiti relevant de la sphère sportive, sociale, identitaire, ainsi que ceux traitant de causes internationales, de la sensibilisation et de la morale.

Les jeunes algérois affichent leurs appartenances sportives sur les murs des trois quartiers concernés par cette recherche. Nous avons observé que les supporters sont divisés en trois groupes : les supporters du MCA (Mouloudia Club d’Alger), de la JSK (Jeunesse Sportive de Kabylie) et de l’USMH (Union Sportive Madinet El Harrach). Cela s’explique par le fait que chaque quartier d’Alger soutient une ou deux équipes de football. Le graffiti ci-dessous (figure 1) et d’autres, pris en photos à Bourouba, indiquent que les stratégies icono-linguistiques sont différentes sur le plan de l’esthétique de l’image. Le graffiti en question est réalisé sur le mur d’une bâtisse située dans un bidonville attenant au quartier de Bourouba. Il est évident que ce graffiti est l’œuvre d’un habitant de ce bidonville dont l’appartenance sportive se résume à l’inscription de l’acronyme du club. L’identité affichée est ainsi l’identité sportive qui participe à l’appropriation de l’espace.

Figure 1

L’autre club sportif adulé par les supporters algérois est le MCA. Le graffiti de la figure 2, pris en photo à Bentalha, contient deux thèmes associant l’amour du club MCA et l’amitié des deux auteurs qui ont inscrit sur le mur « Tous MCA ». Il est à signaler que l’arabe algérien sous sa variété algéroise « ﭬاع  MCA » écrite de droite à gauche explique la visée perlocutoire de l’énonciateur qui, en dépit de son statut anonyme, évoque l’importance des supporters du MCA qui sont nombreux. La deuxième ligne « Hamza + Nadjib = Amis » scelle l’amitié des deux auteurs en la gravant dans la mémoire urbaine de l’espace qu’ils se sont approprié. Lien social et ancrage spatial évoquent ainsi cette relation d’amitié affichée.

Sur un autre graffiti pris en photo à la Madrague sur l’un des murs faisant face à la plage El Djamila, l’énonciateur a marqué différemment son appartenance au club MCA puisqu’il a eu recours à la dénomination inhérente aux supporters du MCA, à savoir « Chinwi » [ʃǝnɥi] qui veut dire en français « Chinois » pour signifier le nombre important de supporters que compte ce club de football algérois. L’accent est ainsi mis sur la caractéristique du supporter pour indiquer son appartenance à la communauté sportive du MCA.

Figure 2

Nous avons également pu observer des graffiti dans lesquels d’autres clubs de football font l’objet de l’admiration des jeunes algérois. À Bentalha, par exemple, nous avons photographié des graffiti dessinés par des supporters de la JSK (Club kabyle).

Sur le plan de la forme et du contenu, les graffiti des figures 3, 4 et 5 présentent des caractéristiques différentes. Si l’on observe le premier graffiti, nous distinguons que trois plans sont mis en exergue, puisque Bentalha est présenté comme ayant une identité singulière symbolisée par l’emblème amazigh et le tifinagh[10]. Cette identité fait partie intégrante de l’identité nationale algérienne. Des identités plurielles et complémentaires se dégagent de la lecture de ces graffiti: identité nationale, identité spatiale et identité ethnolinguistique.

Figure 3

Le graffiti de la figure 3 donne à voir le portrait typique d’un supporter de la JSK à côté d’un emblème amazigh chapeauté par six étoiles rouges pour signifier non sans fierté le nombre de championnats remportés par ce club. Ce discours est renforcé par le recours aux couleurs du club, jaune et vert, et l’emblème amazigh. Le graffiti de la figure 4 indique, lui aussi, une double appartenance ; l’une identitaire symbolisée par l’emblème amazigh et l’autre sportive symbolisée par les couleurs de la JSK. Ces deux identités sont en réalité indissociables l’une de l’autre.

Figure 4

Le graffiti de la figure 5, quant à lui, il véhicule l’idée de la paix à travers la symbolique de la colombe et celle de la révolte à travers le portrait de Lounes Matoub. Il s’agit d’une fresque qui raconte l’histoire sanglante de ce quartier durant la décennie noire. Les habitants de Bentalha ont vécu des moments très difficiles à cause du terrorisme qui a endeuillé l’Algérie de 1990 à 2000. Personne n’a été épargné par les massacres perpétrés à cette période (femmes, hommes, enfants, personnes âgées). Lounes Matoub est aux yeux de la jeunesse kabyle, le symbole incontesté et incontestable de la défense acharnée de la culture amazighe et de la démocratie en Algérie. Quant à la colombe, elle représente la paix et la stabilité qui règne depuis quelques années. Ce graffiti est associé à des valeurs clés de l’Algérie, à savoir l’attachement à la paix symbolisée par la colombe ainsi que l’identité et la liberté symbolisées par la figure emblématique de Lounes Matoub.

Figure 5

Le graffiti de la figure 6 affiche, lui aussi, l’attachement de ses auteurs à l’identité amazigh. Cette identité se déploie par les couleurs de la JSK et de la langue tamazight écrite en graphie latine. Ce graffiti participe à la mémoire urbaine de l’identité amazighe. Afficher et affirmer cette identité à Bentalha se veut un moyen discursif signifiant la forte présence de Kabyles dans ce quartier. Une territorialisation marquée par la signalétique urbaine des graffiti.

Figure 6

L’émigration clandestine (harga) est l’autre thématique dominante sur les murs de Bentalha. La conjoncture socio-économique précaire de ce quartier ne présente que peu d’alternatives aux jeunes désœuvrés qui y habitent. Ces derniers ne voient de salut que dans le projet migratoire clandestin au risque d’y laisser leur vie. Pour exprimer ce désir de l’ailleurs, ils mettent en mots, sous forme de graffiti, leurs souffrances et leurs états d’âme. Un graffiti, écrit en arabe algérien et pris en photo dans ce quartier, résume cette quête de la jeunesse en ces termes [Babur elouh, qalbi majrou, khellouni nrouh] « Bateau en bois, mon cœur est blessé, laissez-moi partir ». Ce refrain est tiré de la chanson du groupe Ouled El Bahdja[11], réputé pour ses chants à dimension sociale, à l’instar de Babour ellouh[12]qui se veut un hommage aux harragas, ces jeunes émigrants clandestins qui tentent la traversée de la mer vers l’Espagne ou l’Italie sur des embarcations de fortune. Publié quelques semaines avant la mise en ligne de La Casa d’El Mouradia en avril 2018, ce titre avait déjà attiré plusieurs millions de vues sur YouTube.

Le graffiti est signé « harraga » pour ne pas citer l’énonciateur qui est certainement un jeune désespéré qui souhaite quitter le pays par n’importe quel moyen.

Parmi les problèmes soulevés par les graffiti, nous évoquons également celui du logement[13] comme indiqué dans la figure de la figure 7. Ce graffiti, en graphie arabe, a été photographié à Bourouba sur le mur d’une bâtisse située dans le bidonville[14] du quartier. L’énonciateur réclame un logement au nom du collectif des habitants de cet espace. Le « nous » porte une double signification ; la première en est le nombre important de ceux qui souffrent d’une vie précaire dans les bidonvilles, la seconde a trait à une rupture avec l’État qui n’est pas cité explicitement. Or, dire « Nous » dans le discours, impliquerait un « Vous », en l’occurrence l’État, auquel on demande une solution radicale à ce problème récurrent.

Figure 7

L’épée dessinée accompagnée de la signature « La mort » constitue une menace contre les autorités locales sachant que les bidonvilles dans ce quartier sont connus pour les actes de violence. Une autre remarque est à retenir concernant ce graffiti, à savoir la variété de l’arabe avec laquelle il est écrit : l’arabe institutionnel. Le choix de l’énonciateur peut être expliqué par l’effet perlocutoire qu’il veut produire chez l’énonciataire, en l’occurrence les autorités locales qui emploient l’arabe institutionnel dans tous les documents administratifs et les comminations formelles. L’énonciateur parle donc un double langage ; celui des autorités locales et le sien. Il pose implicitement la question à l’État: quel langage voulez-vous que l’on utilise ? En d’autres termes, l’énonciateur « collectif » demande à l’État d’agir.

À Bourouba, les graffiti à visées moralisatrices sont fortement mobilisés dans l’espace public. Un cas d’intertextualité avec un verset coranique paraphrasé par un graffiteur a attiré notre attention dans ce quartier (figure 8).

Figure 8

Pour sensibiliser les habitants du quartier, l’énonciateur a déployé des stratégies langagières, linguistiques et « visuelles ». Il s’agit de l’incitation adressée aux gens pour ne pas jeter des poubelles partout dans le quartier. Sur le plan linguistique, il a eu recours au verbe performatif « maudire » dont l’utilisation constitue un acte en soi. Sur le plan « visuel », il a indiqué en rouge celui qui accomplit l’acte de maudire, à savoir « Allah et ses anges ». Ce graffiti rappelle les discours islamistes durant la décennie noire pour terroriser le peuple algérien. Sur le plan langagier, nous avons observé une alternance codique entre l’arabe- institutionnel et l’arabe algérien dans le mot « زبلو » qui veut dire en français « sa poubelle ». Le nom زبلو accompagné de l’adjectif possessif algérianisé[15] contenu dans le و signifie que chacun est responsable de sa « sa poubelle ». La visée illocutoire de l’énonciateur est donc de sensibiliser les habitants pour se comporter autrement.

À la Madrague, les discours des graffiti diffèrent de ceux analysés plus haut. Cela peut être interprété par la nature du lieu dans lequel ils interviennent, une plage où les gens viennent se détendre et où l’on passe des moments agréables. Les graffiti de la Madrague ont été tous signés sous des noms réels ou des pseudonymes (Karim Lacoste, Wawi). La raison en est le contexte de production de ces graffiti, à savoir une plage populaire où la jeunesse se décontracte. Nous avons repéré des énoncés comme « la vie est belle » et « la vie en rose » avec des dessins symbolisant la beauté du quartier.

D’autres graffiti aux contenus politiques sont également répertoriés dans le cadre de cette recherche, à savoir un graffiti pris en photo à la Madrague, qui se veut un hommage à la cause palestinienne en peignant le drapeau palestinien sur le mur. Cette cause est également symbolisée par le recours au foulard palestinien (keffieh) incorporé à ce drapeau. Ce graffiti indique le soutien qu’apporte le peuple algérien au peuple palestinien opprimé par l’occupation israélienne. Au moment où le graffiti relatif à la cause palestinienne a été observé, la scène internationale n’a pas enregistré de perturbations particulières au Moyen-Orient, ce qui nous laisse penser que le drapeau palestinien symbolise, aux yeux de la jeunesse algérienne, la résistance et l’aspiration à la liberté.

Conclusion

Cette contribution dont l’objectif était de présenter les résultats d’une enquête de terrain menée depuis trois ans sur trois quartiers dits « populaires » d’Alger, n’est que le début d’autres recherches dans ce champ émergeant. Nous avons pu appréhender les thématiques soulevées par les graffiteurs comme l’appartenance sportive, l’identité amazighe, la harga, le problème de logement. Nous avons également analysé des graffiti relatifs à la morale et à la sensibilisation citoyenne.

Un brassage linguistique transparaît dans les graffiti à travers le passage d’une langue ou d’une variété de langue à une autre donnant ainsi des cas édifiants d’alternance codique et d’emprunts linguistiques. Les langues en présence en Algérie sont représentées dans les graffiti photographiés et marquent un discours caractérisé par les indices de l’identité urbaine de la jeunesse algérienne. L’anonymat des graffiti constitue l’une des caractéristiques énonciatives de ce discours mural qui permet d’inscrire les émotions et les positions politiques des jeunes dans l’espace public algérois.

Les quartiers populaires observés regorgent de graffiti dont quelques-uns ont été étudiés dans le cadre de cette recherche.  Si les trois quartiers présentent quelques similitudes sur le plan social, ils présentent aussi quelques différences sur les plans langagier et discursif. La Madrague se caractérise par des graffiti qui mettent en lumière le cadre de joie de la plage, Bourouba se caractérise par des graffiti à discours revendicatif et Bentalha se distingue par un discours d’affirmation identitaire dans lequel l’amazighité est mise en mots/en murs et participe à l’identité urbaine des habitants. Ces trois quartiers participent tous à la mémoire urbaine de la ville d’Alger dans ses multiples facettes.

Marquer l’espace est un aspect fondamental du graffiti. Les graffiteurs se servent de ce procédé discursif pour se mettre en valeur et mettre en valeur leurs discours par l’extériorisation et l’expression d’un éthos urbain en constante reconstruction.

En dépit du fait que les graffiti sont encore considérés comme des formes de vandalisme et d’incivisme, ils participent au processus de socialisation qui met en scène un ensemble construit de manières de dire, de faire et de penser. Le graffiti est un phénomène social qui se développe dans un contexte de tensions socio-économico-politiques et vise souvent à exprimer des discours contestataires. Cela signifie que  le graffiti est utile pour expliquer les liens de causalité dans les relations entre la société, les langues, les instances politiques et l’espace.

Notes 

[1] Cette étude s’insère dans le cadre d’un projet de recherche, dirigé par Karim Ouaras et domicilié au CRASC, portant sur « Les graffiti et l’espace public en Algérie : pratiques langagières et stratégies discursives ».

[2] La Madrague porte le nom administratif d’El Djamila pour désigner le port. Or, les habitants d’Alger n’emploient point cette onomastique officielle et continuent de nommer les lieux environnant le port La Madrague.

[3] Voir rapport 2018 de la banque mondiale sur la situation économique en Algérie : http://documents.worldbank.org/curated/en/632761523635654073/pdf/125248-FRENCH-REVISED-PUBLIC-New-algeria-French-PDF.pdf

[4] On y trouve aussi des résidences luxueuses.

[5] Entretien avec la cheffe du service des affaires sociales à Bourouba le 20/9/2017.

[6] Consulter le rapport de l’ONS sur le chômage : http://www.ons.dz/-Emploi-et-Chomage,204-.html

[7] Toutes ces informations ne sont pas sans importance, bien au contraire, elles nous permettront  de comprendre le contexte de production des graffiti.

[8] La langue arabe se décline en variétés différentes les unes des autres. L’arabe institutionnel est essentiellement d’usage dans la sphère institutionnelle. L’arabe algérien, et le tamazight dans ses différentes variantes, sont les langues parlées quotidiennement par les Algériens.

[9] Lounes Matoub est un chanteur, musicien, auteur-compositeur-interprète et poète algérien d'expression kabyle, assassiné le 25 juin 1998 à Thala Bounan (Tizi Ouzou).

[10] Alphabet originel des langues tamazight, en usage surtout chez les populations touarègues.

[11] Ouled Al Bahdja (Enfants de la Radieuse) regroupe les fans de l’USMA et ce, à partir des années 1990. Ce groupe est connu pour ces chants sportifs et satiriques surtout.

[12] Qui veut dire en français bateau en bois ou petite embarcation.

[13] Ce problème touche toutes les strates sociales.

[14] Les bidonvilles sont généralement habités par des populations déshéritées, pauvres et désœuvrées.

[15] Poubelle en arabe standard c’est قمامة (koumama), en arabe algérien زبل (Zbel) bien que dans les dictionnaires arabes le mot a d’autres significations que poubelle.

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