Luc CHANTRE, Kahina MAZARI et Alain MESSAOUDI, (2024), Actions et diplomaties culturelles dans le Nord de l’Afrique et au Moyen-Orient. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 348 p.

Noureddine MIHOUBI (Auteur)
123 – 125
Varia
N° 107 — Vol. 29 — 30/06/2025

Saddek Benkada, est socio-historien, chercheur associé au CRASC. Il a été maire d’Oran (2007-2010). Son dernier ouvrage, Les cimetières d’Oran, constitue un apport à l’histoire urbaine algérienne, en proposant une analyse historique et sociologique approfondie des espaces funéraires de la ville d’Oran. Ce travail prolonge les recherches engagées par l’auteur depuis plusieurs années sur l’évolution du paysage urbain oranais et les formes de mémoire qui s’y inscrivent. L’ouvrage est composé de quatre chapitres.

Le premier chapitre, portant sur les cimetières musulmans, constitue le cœur de l’ouvrage en explorant la multiplicité
et l’évolution des cimetières musulmans d’Oran depuis l’époque précoloniale. L’auteur commence par localiser les premiers lieux d’inhumation, notamment lors de l’arrivée des Espagnols en 1509, et relève des indices archéologiques liés à des champs de bataille entre les Algériens et les Espagnols. Il aborde ensuite une série de cimetières emblématiques de la ville d’Oran: Sidi el-Ghrib,
Sidi el-Houari, ou encore les cimetières des Tolbas et des Noirs, témoins de la diversité religieuse et sociale. Le livre met la lumière aussi sur les cimetières ibadites, analysés en lien avec leur ancrage doctrinal. L’approche chronologique met en exergue la mutation des pratiques funéraires sous la pression de l’urbanisation et des transformations politiques. Dans le deuxième chapitre, sur les cimetières chrétiens, l’auteur s’intéresse à la configuration et à l’histoire de ces cimetières, en particulier depuis l’époque coloniale. Il revient sur le cimetière du Caroubier, hérité de l’occupation espagnole, puis s’attarde sur les réponses funéraires face aux épidémies du XIXe siècle, notamment le choléra. Les cimetières militaires et ceux liés aux catastrophes révèlent des usages spécifiques du sol urbain. Il est aussi question du cimetière américain dans le quartier du Petit-Lac, devenu cimetière militaire français, et du cimetière des marins de Mers-el-Kébir. Cette partie montre comment les contraintes sanitaires, militaires
et mémorielles ont façonné l’organisation des lieux d’inhumation chrétiens à Oran. Le troisième chapitre consacré au cimetière israélite, plus resserré, offre un éclairage sur les pratiques funéraires de la communauté juive d’Oran. Il évoque d’abord le premier cimetière israélite, existant avant 1708, puis s’intéresse à celui établi en 1801, toujours en usage. L’auteur retrace l’histoire de ces lieux à travers les ruptures politiques et les déplacements imposés par l’urbanisation. L’introduction d’un carré militaire dans le cimetière israélite témoigne d’une reconnaissance officielle des morts juifs ayant participé à des conflits. Ce chapitre permet d’appréhender l’intégration de cette communauté dans l’espace urbain oranais et sa gestion différenciée des morts. Dans le dernier chapitre sur les « Inhumations des membres des familles notables d’Oran » », Saddek Benkada examine les liens entre pouvoir social et sépulture. En étudiant les tombes des grandes familles oranaises, il démontre que la topographie funéraire reflète l’organisation sociale. Il revient sur plusieurs cimetières (Sidi el-Filali, Sidi
el-Ghrib, Sidi el-Hasni, Moul el-Douma), en mettant en évidence les critères de distinction dans les pratiques d’inhumation.

Cet ouvrage est enrichi par un tableau qui synthétise la répartition des sépultures en fonction des appartenances, confirmant que la mort, tout comme la vie, reproduit les rapports sociaux. Ce chapitre croise sociologie, anthropologie et histoire dans une approche rigoureuse de la stratification post-mortem.

Ce livre est enrichi par des éléments paratextuels. L’auteur apporte des données topographiques précises sur les cimetières, qu’ils soient encore existants ou non. Il propose aussi des plans de localisation en lien avec l’évolution du paysage funéraire d’Oran dans sa dimension spatiale et historique. Une table des plans vient compléter cet appareil documentaire. Ces annexes offrent une base précieuse pour les futures recherches. L’ensemble est soutenu par des sources référencées, une bibliographie exhaustive et un index facilitant la navigation dans l’ouvrage.

Dans Les cimetières d’Oran, Benkada adopte une démarche rigoureuse de repérage, de documentation et de contextualisation historique des lieux de sépulture à Oran. En articulant archives, témoignages, iconographie et travail de terrain, il constitue une cartographie inédite des cimetières de la ville. Il y examine à la fois les cimetières publics et privés, les espaces funéraires musulmans, chrétiens et juifs, les sanctuaires, les lieux de sépulture des notables, les cimetières familiaux, et ceux liés à des événements ou des pratiques spécifiques comme les chouhada ou les Ibadites. La richesse de l’analyse réside dans l’attention portée à la diversité des pratiques funéraires, mais aussi dans l’interprétation des évolutions morphologiques de ces espaces. Autrefois situés en périphérie, souvent organisés autour de mausolées circulaires, les cimetières sont désormais intégrés à l’espace urbain. Les formes de l’inhumation se sont normalisées, et les distinctions doctrinales ou sociales tendent à s’effacer au profit d’une organisation commune. Ce processus d’urbanisation a conduit à la désaffectation de certains cimetières, voire à leur disparition. L’ouvrage s’attarde aussi sur les enjeux fonciers, sociaux et politiques que soulève la question des cimetières. Ces espaces ne sont pas de simples lieux de repos éternel : ils sont chargés de mémoire, porteurs de récits individuels et collectifs. À travers l’étude des stèles, des épitaphes, des localisations et des formes architecturales, Benkada reconstitue une histoire sociale d’Oran depuis l’époque espagnole jusqu’à la période contemporaine, en passant par les périodes ottomane
et coloniale.

Les travaux anthropologiques, notamment ceux de Louis-Vincent Thomas, considèrent les cimetières comme des lieux vivants, porteurs de sens, de symboles et de pratiques. Dans le monde musulman, les cimetières tendent aujourd’hui à être réinvestis comme « jardins mémoriels », dans un mouvement qui conjugue spiritualité, esthétique paysagère et conscience patrimoniale. À cet égard, l’étude de Benkada s’inscrit dans les tendances contemporaines qui considèrent les cimetières comme des « musées à ciel ouvert », en appelant à leur protection, leur conservation et leur valorisation comme éléments constitutifs de la mémoire urbaine.

En conclusion, avec Les cimetières d’Oran, l’auteur a réussi à transformer un objet souvent marginalisé (le cimetière) en une étude des dynamiques sociales, politiques et mémorielles de la ville d’Oran. L’ouvrage s’adresse à un public savant de chercheurs, mais aussi aux acteurs du patrimoine, aux urbanistes et à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des lieux et à la transmission des mémoires. Il constitue ainsi, sans doute une référence dans le champ des études sur la ville d’Oran.

استشهد بهذا المقال

MIHOUBI, N. (2025). Luc CHANTRE, Kahina MAZARI et Alain MESSAOUDI, (2024), Actions et diplomaties culturelles dans le Nord de l’Afrique et au Moyen-Orient. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 348 p.. إنسانيات - المجلة الجزائرية الأنثروبولوجيا والعلوم الاجتماعية, 29(107), 123–125. https://www.insaniyat.crasc.dz/ar/article/luc-chantre-kahina-mazari-et-alain-messaoudi-2024-actions-et-diplomaties-culturelles-dans-le-nord-de-lafrique-et-au-moyen-orient-rennes-presses-universitaires-de-rennes-348-p