Présentation


Insaniyat 100, avril-juin 2023, p. 9-12


L’indépendance 1962 ! Des mots magiques qui donnent naissance à un État gouverné par des hommes et des femmes libérés des séquelles du Code de l’indigénat, des maltraitances, des violences, du mépris. Libérés de 132 ans d’oppression coloniale. 

Ce numéro d’Insaniyat nous rappelle le long parcours parsemé d’embuches, du processus de construction et de reconstruction d’une société et de ses acteurs. C’est un exercice de mémoire et de mise en perspective de l'expérience accumulée par la revue depuis plus de 25 années.

Aussi, les textes proposés portent aussi bien sur la question des paradigmes que des conditions en lien avec la pratique des sciences sociales sur des terrains pluriels. Si l’expérience des générations post-indépendance semble très différente de celles de leurs ainés, les réalités héritées du passé peuvent toujours être d’actualité. Il y a de fait, une tentative d’élucidation des processus auxquels la génération présente est confrontée, notamment en ce qui a trait aux approches de construction de l’intelligibilité des pratiques et des normes en œuvre dans la société.

Cette livraison d’Insaniyat est dans le continuum du symposium organisé par le CRASC en novembre 2012, soit 50 ans après l’indépendance, autour de la thématique « Penser le changement dans ses permanences et ses mutations »1. Le symposium de 2012 continuait, lui également, la réflexion amorcée au CRASC autour de l’« État des Savoirs en Sciences Sociales et Humaines (de 1954 à 2004) »2.

Par ailleurs, cette parution coïncide avec le 100ème numéro de la revue Insaniyat. Celle-ci réaffirme, en cette occasion, sa volonté de demeurer un carrefour transdisciplinaire et thématique, avec des convergences et des divergences dans les approches, les terrains et les méthodes.

Sept études composent ce numéro, dont trois présentant un bilan de la situation dans différents domaines (l’agriculture et la transformation des campagnes, les architectes algériens, la poésie populaire), alors que deux textes explorent l’histoire et les vécus mémoriels (les associations dans le Mouvement national, la Zone autonome d’Oran (ZAO), les deux oscillent entre les réformes éducatives et trajectoires et stratégies migratoire

Dans sa contribution, Omar Bessaoud fait le bilan de l’agriculture avant, pendant la colonisation et depuis l’indépendance. Domaine stratégique, l’agriculture en Algérie a subi des transformations structurelles affectant profondément les rapports sociaux. Allant des réformes agraires des années 1960-1970 et leurs échecs, à la réhabilitation du secteur privé, l’auteur s’interroge sur le futur de ce secteur en Algérie. Pays méditerranéen, en butte aux stress hydriques et la dégradation des ressources naturelles et autres facteurs, cette situation exige de l’Algérie, selon l’auteur, une rigueur et une  refondation de sa politique publique agricole et rurale. 

Ahmed-Amine Dellaï présente l’état des recherches sur le Melhoum, cette poésie chantée, dont la spécificité est d’être en arabe dialectal et d’être transmise oralement depuis des siècles. L’auteur plonge dans les travaux menés avant et pendant la colonisation. Il montre l’importance des jalons posés par les interprètes militaires dès les débuts de la colonisation ; avant que l’institution académique coloniale ne contribue à sa préservation. Après l’indépendance, l’intérêt porté aux littératures populaires n’était pas très soutenu, mais ces dernières décennies, le Melhoum occupe une place non négligeable dans la recherche et les publications, que ce soit en langue arabe ou en langue française. L’auteur y a largement contribué par ses recherches et publications.

Ammara Bekkouche fait le point sur les architectes algériens durant ces soixante années d’indépendance. L’évolution exponentielle du nombre d’architectes, plus qu’appréciable, reflète-t-il une qualité et une maîtrise de l’état de l’art ? L’auteure s’interroge sur les dysfonctionnements et les lacunes, compte tenu du fait que l’acte de construire nécessite une conjonction de moyens et « des considérations socio-économiques, culturelles, écologiques, symboliques ». Elle relève des ambiguïtés et des « imprécisions » juridiques qui entravent cette fonction et prône par la même une réflexion profonde impliquant une refonte du cursus ainsi que de son contenu.

Saddek Benkada lève le voile sur un pan historique d’une ville à la fin de la Guerre de Libération Nationale. La zone autonome d’Oran créée en (1962) a été tenue quasiment secrète ou ignorée : il n’y a pas d’archives, pas de témoignages crédibles, nous dit l’auteur. Ce dernier s’attache à retrouver ces traces et à démontrer son existence, éphémère mais réelle. Cette courte période (avril-septembre 1962) de l’existence de ce type d’administration exceptionnelle a connu des tensions à divers niveaux : la crise de l’été 1962), les actions terroristes de l’Organisation de l’armée secrète (OAS)… La zone autonome, à l’instar de celle d’Alger, aura en fait joué un rôle qui mérite d’être éclairci et connu.

Houria Djilali met l’accent, quant à elle, sur l'articulation entre la dynamique politique, sociale et culturelle, induite par l'avènement du Mouvement national et le mouvement associatif en Oranie, entre 1919 et 1945. En l'espèce, la focale est mise sur les associations apparentées à l'Association des oulémas musulmans algériens (AOMA) et aux Scouts musulmans algériens (SMA). La chercheure nous livre un inventaire des associations de cette époque en présentant les conditions de leur création et la relation de leurs membres avec les partis du Mouvement national.

Karim Khaled analyse les parcours, trajectoires et stratégies migratoires des intelligentsias algériennes après l’indépendance et note, en citant « le cas de Ahmed Madoui, que ce sont des modes de socialisation caractérisés fondamentalement par des processus de rupture, d’exil et de retour ». L’auteur constate que ces retours peuvent être « nostalgiques » ou « stratégiques », ou, encore, les deux à la fois. Cette intelligentsia partie ailleurs et retournant au pays se caractérise par sa « double présence, la souffrance du double exil ». L’ambivalence affective semble prévaloir sur cette population qui reste écartelée entre ici et là-bas.

À ces travaux, s’ajoutent deux contributions intéressantes. Celle de Nouria Benghabrit-Remaoun montre comment l’État algérien naissant a fait de l’éducation sa priorité, et ce dès 1963 en la rendant obligatoire et gratuite. L’auteure fait une rétrospective de l’évolution de ce secteur, qui a été, dès l’indépendance, considéré comme un moyen d’accéder au développement, tout en permettant à tous les Algériens l’exercice d’un droit fondamental. L’auteure décrit cette « révolution » fulgurante et la rapide adhésion des familles à la scolarisation des filles comme celle des garçons. Après le rappel des différentes réformes, elle évoque des questions importantes sur la nécessaire transformation du système éducatif et de sa prise de distance par rapport à l’hégémonie du système hérité de la colonisation.

La seconde contribution publiée par Insaniyat en hommage au regretté historien Mohamed Ghalem, traite de la question de l’écriture historique durant la deuxième moitié du dix-huitième siècle, et ce à partir des travaux d’historiens comme Abi Ras an-Nasseri al-Mo’askri, Ibn Sahnoun Ar-Rachidi, Ahmed Ben Hattal at-Tilimçani et Hussein al-Wartilani. L’auteur analyse dans cette contribution le contexte qui a conduit à l’émergence d’une écriture historique durant cette période allant vers légitimation de l’institution politique ottomane, tout en dépassant la logique des biographies et des vertus. Pour autant, cette écriture n’a pas renoncé à « la légalité juridique dans la défense du pouvoir central ».

Par ailleurs, les lecteurs d’Insaniyat trouveront, dans ce numéro, un entretien avec le socio-historien Hassan Remaoun, autour principalement des questions d’histoire, de mémoire et de citoyenneté.

En conclusion, ces approches ne peuvent certainement pas prétendre à l’exhaustivité et mériteraient d’être précisées et complétées par d’autres travaux. La revue Insaniyat ne manquera pas, comme par le passé, dans ses livraisons futures, de continuer à rendre compte des investigations susceptibles de poursuivre le débat et d’enrichir l’état des connaissances sur l’Algérie.

Le Comité de rédaction d’Insaniyat

Notes 

1 Algérie 50 ans après l’indépendance (1962-2012). Permanences et changements. Insaniyat, (57-58).

2 Benghabrit-Remaoun, N. et Haddab, M. (s. d.), (2008). L’Algérie 50 ans après. L’État des Savoirs en Sciences Sociales et Humaines (1954-2004). Oran : éd. CRASC.

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